Wuhan,
31 décembre 2019. Alors que le monde s’apprête à fêter la nouvelle année, l’Organisation mondiale de la santé est informée de l’existence d’une nouvelle forme de pneumonie atypique, de cause inconnue, repérée dans la ville chinoise de Wuhan. Personne ne le sait encore, mais ce sont les prémices de la pandémie mondiale la plus considérable depuis celle de la grippe espagnole en 1918.
Où et quand le virus est-il apparu ? Chez quel animal ? Comment a-t-il franchi la barrière d’espèce pour se transmettre à l’homme ? Fondamentales pour comprendre la dynamique précoce de l’épidémie et éviter que le même scénario ne se reproduise, les réponses à ces questions restent encore pour partie inconnues. Le virus a probablement émergé en Chine à l’hiver 2019, peut-être en novembre et était déjà sorti de Chine une première fois, sans être identifié. Les traces du virus trouvées rétrospectivement dans les eaux usées de Turin et Milan congelées en décembre 2019 le prouvent.
Un mois de délai entre les premiers cas et l'alerte à l'OMS
C’est néanmoins à Wuhan, agglomération chinoise de 11 millions d’habitants, que l’épidémie prend vraiment naissance. Le premier cas formellement identifié remonte au 1er décembre 2019 mais il faut attendre le 30 pour que l’alerte soit enfin donnée dans les hôpitaux de Wuhan. La fuite, sur les réseaux sociaux, d’un rapport hospitalier interne sur un cas de syndrome de détresse respiratoire aiguë d’origine inconnue, contraint probablement la Chine à alerter l’OMS le lendemain, le 31 décembre. Le 3 janvier, les autorités chinoises annoncent avoir identifié 44 cas, dont 11 patients dans un état grave. Il est établi que la très forte majorité de ces malades travaillent ou ont fréquenté le marché de gros de fruits de mer et d’animaux vivants de Huanan, qui apparaît alors comme le foyer probable d’apparition du virus. A ce stade, la Chine estime encore qu’il n’y a pas de preuve que le virus se propage d’homme à homme.
Le virus commence à se répandre dans tout le pays et le bilan quotidien décolle.
Le 9 janvier, la Chine enregistre son premier mort (officialisé deux jours plus tard) et publie le lendemain les premières séquences génétiques isolées du virus. Un premier cas est identifié hors de Chine, en Thaïlande, le 13 janvier. La machine commence à s’emballer. Le nombre de cas officiels grimpe à 62 le 18 janvier ; 201 le lendemain, 218 le jour suivant. Ce 20 janvier, le président XI Jinping déclare qu’il faut prendre la menace au sérieux et que la bataille sanitaire devient prioritaire. Le lendemain, la contamination interhumaine est confirmée par les scientifiques chinois. Le virus commence à se répandre dans tout le pays et le bilan quotidien décolle.
Au 23 janvier, la Chine compte 628 cas et 17 morts sur tout son territoire. La province du Wuhan est placée en quarantaine à la veille des congés de Nouvel an, mais il est déjà trop tard. Le 24 janvier, la France rapporte ses trois premiers cas de Covid. Elle rejoint le Japon, la Corée du Sud, le Vietnam, Singapour, la Thaïlande et les Etats-Unis, qui font chacun état d’au moins un cas, tous importés du Wuhan, sauf un. Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg : en réalité, le virus est déjà en train de circuler activement hors de Chine, sous les radars. Une première étude chinoise, qui fait date, paraît dans le The Lancet pour faire un premier état des lieux des connaissances sur la maladie.
L’Europe face à la déferlante Covid-19
Dans une économie mondialisée, une province éloignée de 9000 km est un voisin. Après le reste de l’Asie, l’Europe est touchée à son tour par la propagation rapide du virus, jusqu’à devoir se confiner pendant plusieurs semaines.
Si les premiers cas de Covid-19 européens sont identifiés en France, c’est bien l’Italie qui sera la première submergée par la vague épidémique. Sans raison particulière : au démarrage d’une épidémie, le hasard joue toujours un rôle important. Il suffit que les premières chaînes de contamination se brisent pour que l’épidémie s’éteigne d’elle-même. C’est peut-être ce qui s’est d’ailleurs passé en décembre. Mais il suffit aussi d’un événement particulier pour déclencher une flambée épidémique. En Italie, un match de la Ligue des Champions à Milan le 19 février pourrait avoir mis le feu aux poudres. En tout cas, c’est une semaine plus tard précisément (soit la période d’incubation moyenne du virus) que l’épidémie explose en Lombardie. Elle finira par toucher tous les pays d’Europe (Espagne, Allemagne, Grande-Bretagne, Suède…).
Nombre de décès liés au Covid
recensés entre le 1er et le 31 mars 2020 :
Une même trajectoire exponentielle
Si l’épidémie ne décolle pas partout au même moment, elle prend ensuite toujours la même trajectoire exponentielle. La France suit l’Italie avec une semaine de retard environ, puis c’est au tour de l’Allemagne. Une politique de dépistage massif permet toutefois à Angela Merkel de réaliser très tôt que son pays n’échappera pas à la déferlante. Elle prend donc des mesures plus précocement dans le déroulé de son épidémie. Cette avance va s’avérer cruciale pour limiter la propagation du virus. La France, qui avait pourtant l’Italie comme exemple, a raté cette opportunité. En partie parce qu’elle manquait de tests et n’a pas réalisé à quel point le virus circulait activement avant que les hôpitaux ne soient débordés par les cas graves.
Le casse-tête des asymptomatiques
Il faut dire que le virus est sournois. Fin février, il devient clair que, contrairement au SARS ou au MERS, il peut infecter des personnes et être transmis sans provoquer de symptômes. D’autre part, les malades semblent commencer à être contagieux quelques jours avant la survenue des premiers symptômes. En termes de santé publique, c’est une catastrophe : cela veut dire que les stratégies classiques d’isolement des personnes malades n’est pas suffisant pour endiguer l’épidémie. Les asymptomatiques passent entre les mailles du filet et les malades sont probablement mis en quarantaine après avoir transmis le virus. Encore aujourd’hui, c’est cette propriété insidieuse qui rend si complexe les stratégies de lutte.
L'épidémie se mondialise
A partir du printemps, l’épidémie devient mondiale. Les pays épargnés se comptent sur les doigts d’une main. Début avril, la moitié de la population mondiale, soit 3,5 milliards d’individus, est confinée.
La situation se dégrade brutalement en mars. Alors que la Chine annonce en fanfare avoir jugulé l’épidémie le 10 mars, le reste du monde bascule au contraire dans une crise profonde. Le 11 mars, l’OMS prononce officiellement le terme de “pandémie”.
Le système de santé américain à l’épreuve de la crise
Deux jours plus tard, le président américain Donald Trump déclare l’état d’urgence sanitaire nationale et suspend tous les voyages transatlantiques à destination des Etats-Unis. Mais la gestion de crise est catastrophique. Qu’il en soit conscient ou non, le dirigeant minimise la gravité de la crise et se refuse à prendre des mesures qui pourraient avoir des répercussions trop importantes sur l’économie. L’épicentre de la pandémie bascule ainsi peu à peu de l’Europe vers les Etats-Unis, dont la situation sanitaire désastreuse justifiera a posteriori les mesures drastiques prises en Europe. La crise révèle les failles du système de santé américain, organisé autour des assurances privées, dans un contexte de pandémie. Le virus se répand à loisir chez les plus pauvres.
Nombre de décès cumulés aux Etats-Unis
sur les premiers mois de l'épidémie :
L'économie mondiale s'effondre
La connaissance de la maladie progresse en parallèle : début mars, les personnes souffrant de maladies cardiovasculaires, de diabète, d’insuffisance rénale sont identifiées comme les plus à risque de développer des formes graves de la maladie avec les personnes âgées, en particulier les hommes. L’obésité vient s’ajouter à la liste des facteurs de risque à la mi-avril. Cela explique d’ailleurs en partie le carnage aux Etats-Unis, dont la population est la fois vieillissante et très obèse. Le bilan dépasse les 200 000 morts fin septembre.
Depuis début juin environ, les Etats-Unis sont rejoints par le Brésil, le Mexique et globalement toute l’Amérique latine, puis l’Inde. L’épidémie devient réellement mondialisée. Dans le même temps, l’économie mondiale s’effondre. La Chine affiche une croissance en recul de -6,8% au premier trimestre 2020, la France de 13,7% au second, quand celles du Royaume-Uni et des Etats-Unis plongent littéralement ( respectivement -20,4 et -31,7%). La crise sanitaire ne marque que le début d’un long bouleversement des équilibres mondiaux.
Plus de 500 000 décès liés au coronavirus enregistrés dans le monde mi-juillet.
La France dans la tempête
En quelques semaines, la France s’est familiarisée avec de nouveaux termes médicaux, a jonglé avec les autorisations de sortie, applaudi les soignants, souffert de l’isolement de ses anciens et respiré de nouveau lors des vacances d’été. Une séquence de six mois aussi inédite que bouleversante, dont le dénouement exact reste encore incertain.
Aux décomptes parcimonieux des agences régionales de santé ont succédé les bilans quotidiens de Santé publique française. Les sourires ironiques adressés aux collègues munis de leur gel hydroalcoolique ont fait place à une suspicion généralisée pour tout éternuement ou quinte de toux. Les agendas les plus remplis se sont vidés face aux annulations en masse des évènements. La bataille électorale des municipales a été rattrapée par une abstention sans précédent. L’année 2020 aura déjoué tous les pronostics.
L’Est et l’Ile-de-France en première ligne
Fin janvier, les premiers malades du Covid sont identifiés en France. Les autorités se veulent rassurantes : tous sont en lien avec la Chine. Les premières inquiétudes réelles viendront d’un département pourtant peu habitué à faire la une de la presse, l’Oise. Un professeur de lycée, âgé de 60 ans, y a présenté les symptômes d’un rhume le 24 février. Son état se dégrade brutalement dès le lendemain. Transféré à Paris, il décède deux jours plus tard. Le lendemain, vingt cas sont identifiés dans le département.
A ce stade, les autorités espèrent encore circonscrire l’épidémie. C’est pourtant déjà trop tard. Du 17 au 24 février, plus de 2 000 pèlerins issus de toute la France, départements d’outre-mer inclus, ont participé à un rassemblement évangélique dans la banlieue de Mulhouse. Ils ont depuis regagné leur foyer, avec pour beaucoup, le virus dans leurs bagages. Dès lors - et certainement à la faveur d’autres évènements -, l’épidémie se répand sur tout le territoire, en particulier dans l’Est et en Ile-de-France.
Nombre de cas de Covid
recensés en France par les ARS
Retard dans la prise de conscience
L’inertie naturelle de la maladie joue en sa faveur : l’incubation est longue (cinq jours en moyenne) et ce n’est qu’une semaine après le début des premiers symptômes que l’état d’un malade peut se détériorer au point de nécessiter une hospitalisation. Il faut encore une semaine supplémentaire aux cas les plus graves pour arriver en réanimation. On compte en moyenne plus de trois semaines entre la contamination et le décès éventuel.
La France attend pourtant de compter les morts pour imposer des mesures et prend un retard considérable. Les services de réanimation sont rapidement saturés : on ne compte que 5 000 lits disponibles sur le territoire début mars. Pour éviter d’avoir à laisser mourir des malades privés de soins, de nombreux lits sont réquisitionnés, les opérations reportées, certains malades transférés entre régions. Les gestes barrière et les mesures de distanciation sociale ne sont toutefois pas suffisamment appliqués. Mi-mars, l’épidémie suit une trajectoire exponentielle. Le président de la République prend la décision extrême de confiner le pays le 16 pour éviter la catastrophe.
Nombre de décès du Covid
de patients hospitalisés
Une épidémie sans fin ?
A la fermeture des écoles, des crèches et des universités s’ajoutent celles de tous les bars, restaurants et autres lieux accueillant du public. L’économie est à l’arrêt. Plus aucun avion ne décolle à Orly. Seuls 7% des TGV circulent. Les citadins cherchent à fuir les grandes villes, le recours au télétravail devient massif. Dans les Ehpad et maisons de retraite, les professionnels tirent la sonnette d’alarme. Le bilan y est lourd et peine à être intégré dans les statistiques, par manque de tests.
Du 1er mars au 15 octobre, le virus a fait plus de 33 000 morts en France
Les polémiques sont nombreuses : aux pénuries embarrassantes de masques et de tests s’ajoutent en particulier les controverses autour du traitement “miracle” du professeur marseillais Didier Raoult. Les mesures permettent finalement d’endiguer la première vague, et de procéder à un déconfinement progressif à partir de la mi-mai. Le bilan avoisine les 30.000 morts mais les Français pourront finalement partir en vacances pendant l’été à la faveur de cette accalmie. Le virus ne déserte pas pour autant et continue de circuler, notamment chez les jeunes, à la faveur d’un relâchement des gestes barrière.
Les rentrées scolaire, universitaire et professionnelle se font sous le signe du Covid. Le 28 septembre, Aix-en-Provence et Marseille passent en “alerte maximale”, suivies deux semaines plus tard par Paris, puis Lille, Lyon, Saint-Etienne et Grenoble mi-octobre. Plus du tiers des lits de réanimation de ces métropoles sont occupés par des patients atteints du Covid-19. Les bars et les salles de sports sont fermés, mais la vie continue, tant bien que mal. Les Français sont partagés entre inquiétude et ras-le-bol des restrictions sanitaires. Mais le virus continue de tuer. Mi-octobre, les autorités enregistrent chaque jour une centaine de morts supplémentaires liées au Covid-19. Un couvre-feu de 21h à 6h est instauré en Ile-de-France et dans les 8 métropoles les plus touchées : Lille, Rouen, Lyon, Saint-Etienne, Toulouse, Montpellier, Grenoble et Aix-Marseille.
La barre du million de morts officiels dans le monde est franchie fin septembre.
Une deuxième vague nettement plus meurtrière
Le virus continue de tuer. Le pays a franchi le 16 janvier 2021 la barre des 70.000 morts depuis le début de l'épidémie, dont un peu plus de 30.000 attribués à la 1ère vague. Ce sont toujours les mêmes victimes : en majorité les personnes âgées de 65 ans ou plus, et surtout les plus de 75 ans, le plus souvent des hommes. Un déséquilibre qui va encore s’intensifier dans les mois à venir avec la saison hivernale meilleure alliée du Coronavirus et la circulation de nouveaux variants plus contagieux identifiés dans plusieurs zones de la planète (Royaume-Uni, Afrique du sud, Brésil…). Pour contrer cette deuxième vague, l'exécutif n'a d'autre choix que de décider un nouveau confinement. La France n’est pas la seule à être confrontée à cette situation. En fait, l’Europe, plutôt épargnée lors de la première vague, est désormais le continent qui paie le plus lourd tribut de décès rapportés à la population, en plaçant 8 pays dans le Top 10, tandis que le Pérou et les États-Unis viennent compléter le tableau.
Un début de campagne de vaccination laborieux
Après avoir connu dans sa gestion de la pandémie de coronavirus des cafouillages sur les masques et les tests, la réussite de la campagne vaccinale est cruciale pour l'exécutif. En Europe, deux vaccins ont, en fin d’année 2020, été autorisés : Pfizer/BioNTech et Moderna. La France dispose de 15% des précommandes européennes, soit à terme plus de 200 millions de doses selon le ministère de la Santé. Le lent démarrage de la campagne vaccinale suscite critiques et incompréhensions dans la classe politique et chez certains médecins mais le gouvernement assume sa stratégie. Au final, «ce qui compte, c'est que d'ici le mois de janvier nous aurons rattrapé le décalage vis-à-vis de tout le monde», a assuré le ministre de la Santé Olivier Véran. Mais c’est sans compter sur les retards de livraisons des doses de vaccins commandées par l’Union européenne. Les Européens vont devoir s’armer de patience alors que la troisième vague de Covid se profile.